Si vous pensez qu’avoir deux parents militaires à la maison, c’est le bagne, c’est que vous n’avez jamais affronté l’autorité de l’oncle catholique pratiquant qui me servait de babysitter.
… je plaisante, Tío Javier était une crème ! et mes parents aussi, même s’ils étaient moins souvent là.
Maman m’a eue assez jeune, quand elle était encore aux études, alors elle travaillait dur pour les terminer brillamment et faire honneur à la bourse militaire qu’elle avait reçue, quant à Papa il occupait déjà un poste important à l’armée et s’absentait souvent pour des opérations dont il ne pouvait pas parler. Autant dire que sur les seize années qui ont suivi ça n’a pas été en s’améliorant ! entre Papa qui collectionnait les promotions et les médailles (ainsi que les responsabilités qui allaient avec) et Maman qui devait intégrer l’armée tout de suite après la remise de son diplôme pour justifier l’investissement qu’ils avaient placé en elle, c’était rare de les avoir tous les deux en même temps à la maison. Au moins il fallait reconnaître que quand ils étaient là, ils étaient vraiment là, je veux dire parfois je vois des familles ils vivent tous sous le même toit h24 et c’est à peine s’ils se parlent… bah ce n’était pas le cas chez nous, c’était des moments plus rares mais tellement intenses ! on partait souvent en camping un week-end entier, durant lequel ils me filaient toutes leurs astuces de survie en territoire hostile. Combien de parties d’airsoft on n’a pas improvisé en plein milieu de rien ! je gagne nettement moins souvent depuis que j’ai formellement interdit à mes parents de me laisser gagner, mais ça reste marrant.
Le reste du temps, c’était Tío Javier qui s’occupait de moi. Il aime bien raconter à tout le monde comment je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, il oublie de dire que lui aussi il aimait bien les couleurs. Les règles étaient très claires avec lui : je pouvais lui demander n’importe quoi, mais il fallait que ça ne coûte pas un rond et que j’y mette aussi de l’huile de coude. C’était un principe d’éducation, de ne pas pourrir les enfants et faire en sorte qu’ils méritent toujours ce qu’ils obtiennent, mais aussi un peu une nécessité, je l’ai compris après coup : les études de Maman avaient coûté cher, la bourse ne couvrait pas tout, c’était important de se serrer la ceinture.
Bref, c’est avec mon oncle que j’ai à peu près tout appris, j’étais son assistante préférée pour tous les petits travaux de la maison (dont certains avaient probablement juste été improvisés pour me tenir occupée et éviter que je fasse des bêtises), on a aussi restauré ensemble quelques vieilles bagnoles dans les environs pour les revendre à des jeunes qui cherchaient à se lancer. Puis quand il ne savait pas faire quelque chose que j’avais envie de faire, il proposait qu’on l’apprenne ensemble. C’est comme ça qu’il s’est mis à la couture, j’avais peut-être pas la possibilité de dévaliser les magasins à la mode comme d’autres filles de l’école, mais finalement c’était encore plus marrant comme ça : je partais de trois tonnes de vieilles fripes défraîchies et j’en faisais ce que je voulais, avec un style unique au monde. Eh, il est cool ton t-shirt Tilly, tu l’as acheté où ? – Nulle part, c’est moi qui l’ai fait, et tu pourras courir longtemps pour en trouver un pareil ! Il est unique,
unique j’ai dit.
Pour trouver de chouettes matières premières j’ai pas mal couru les ventes aux enchères et autre vide garage, le genre de truc où tu ramasses beaucoup de brol bon pour la décharge pour obtenir la perle rare qui t’intéressait, mais pour ne pas gaspiller j’essaie tout de même de trouver une utilité à tout. Au moins jusqu’à ce que Maman pique une crise et me prie de faire un tri drastique dans ma réserve aux trésors. En général ça ça veut dire que j’ai vraiment abusé. Soit, c’est notamment via ce genre de bonnes affaires que j’ai eu mon premier ordinateur, j’étais tellement fière de l’avoir récupéré pour trois fois rien ! un peu moins quand j’ai découvert qu’il ramait à mort rien que pour s’allumer. Comme j’étais maintenant assez grande pour plus avoir besoin de traîner mon oncle partout pour pousser les bonnes portes, j’ai rejoint un petit club d’informaticiens amateurs, qui m’ont aidée à réinitialiser l’ordinateur avec un système d’exploitation plus léger, moins gourmand en ressource. Puis comme ils sont tout de même vachement sympas j’ai continué à suivre leurs réunions hebdomadaires.
L’école, c’est déjà un peu moins mon truc. Je fais des efforts bien sûr (Maman et Tío Javier n’accepteraient jamais le contraire !), mais clairement je suis pas plus intéressée que cela à être première de classe. Il paraît que c’était la grande passion de mes parents, et que là c’était peut-être pas des plus passionnants, ce que j’apprenais, mais que plus j’avancerais vers les grandes études plus ça deviendrait intéressant. Ils sont marrants, comme si je savais à quinze ans ce que je voudrais faire toute ma vie ! pour eux c’était le cas d’accord, mais moi franchement… Et non, Maman, c’est pas parce que je veux être styliste et que je n’ose pas vous avouer ma vocation artistique ! De toute façon mes créations ne sont jamais aussi classes que sur ma propre personne, pourquoi est-ce que je partagerais ces merveilles ?
J’ai quand même dû le faire, au final, mais c’est pour la bonne cause. Pas que je veux faire charité à qui que ce soit, c’est juste que je vais pas pouvoir tout emporter là où je vais. Et où est-ce que je vais ? Où est-ce que je vais ? Ah vous aimeriez bien le savoir, hein ! non mais désolé, j’ai signé un accord de non-divulgation vous voyez, c’est top secret, je vais suivre mes parents dans une affectation top secrète en plein de milieu de nulle part, c’est trop cool non ? Vous pouvez même pas vous imaginer à quel point.
Adieu Colorado Spring, les Breckman lèvent les voiles et Tilly sera de la partie !
***
Je
sais qu’il est vivant. Je veux dire, c’est pas juste une croyance, ou un déni, ou ce que vous voulez, il
est vivant, c’est tout. Il ne peut pas en être autrement. Il ne peut pas nous avoir laissé comme ça, maintenant, après tout ce chemin parcouru. Son jumper est probablement en miette, d’accord, mais vous n’avez même pas pris le temps de rechercher les débris pour vérifier si son parachute en faisait partie, il doit avoir sauté quelque part, il doit être là, tout seul dans cette immensité, sans moyen de communiquer, mais c’est pas un bleu, il sait se débrouiller seul, il sait survivre par lui-même… mais pour combien de temps ?
Combien de temps vous allez encore vous chercher des excuses pour ne pas aller sauver mon père ?
Terrain trop accidenté. Manque d’effectif. Manque de piste. Trop de danger pour une chance infime de réussite. C’est comme ça que vous remerciez un gars qui a donné toute sa vie au projet Porte des Étoiles ? Est-ce qu’il ne vaut pas même une infime chance ? Laissez-moi au moins partir le chercher toute seule, si c’est trop dangereux pour vous, moi je m’en fiche ! Je sais que je peux le retrouver.
Nous n’avons pas quitté Colorado Spring pour Athéna pour que ça se finisse comme ça. Je veux bien rendre tous les extraterrestres bad ass du monde, mais s’il vous plaît rendez-le-moi. Essayez au moins, faites semblant d’essayer ! Maman peut bien se cacher pour pleurer, moi je n’abandonnerai pas tant que vous ne bougerez pas votre
fucking ass.