Fever dream + Camille Greco

C’était cette satanée pluie… Rien de grave. Mais ça l’avait rendu légèrement fiévreux et quand le médecin avait constaté qu’il avait les yeux un peu vides et l’air à côté de la plaque, il l’avait collé au lit. Quelques ordres de certaines personnes bien placées dans la hiérarchie avaient fini par le convaincre. Mais juste pour aujourd’hui. Sûr que c’était plus simple. Ils étaient tous à « off » pour la journée. Mais dès demain, les choses sérieuses reprenaient et lui aussi reprenait du service, quoi qu’on en dise. Silver était donc dans sa chambre et même, étonnamment, dans sa couche. Il portait un simple pantalon de toile et avait chaud, terriblement chaud. Il avait déjà enduré pire, hein. Mais c’était quand même désagréable.

Depuis quelques minutes, il entendait des petits pas devant la porte de sa chambre. Au départ, il n’en avait pas fait de cas. Rien d’inhabituel à ce qu’il y ait du passage dans cette partie de la base. Mais après un certain temps, son oreille exercée réalise qu’il s’agissait toujours de la même cadence, du même poids, de la même démarche… Yeux fermés, une main contre son torse et l’autre un peu en dehors du lit pour tenter d’attraper un courant d’air frais peut-être bien, Silver pousse un soupir.

« Entrez ! »

Un ordre et non pas une suggestion. Parce que qui que ce soit, il allait les rendre fous tous les deux à faire les cent pas devant la porte de sa chambre… Silver tourne la tête. C’est avec une surprise contenue qu’il croise le regard océan du petit linguiste. Eh bien ça, pour une surprise… Silver tourne à nouveau la tête pour qu’elle soit bien placée sur l’oreiller, son visage face au plafond et ferme les yeux.

« Si vous n’êtes pas ici pour grimper sur mes hanches, Dr. Greco, je ne sais vraiment pas pourquoi vous avez cru bon de me déranger. », marmonne le militaire, de mauvais poil. C’était surtout à cause de sa condition. Mais c’était le genre d’état d’esprit qui faisait souvent fuir les petites brebis. Pas celle-là, de toute évidence. « Qu’est-ce que vous voulez ? »

Par contre, s’il en restait là, son orgueil serait rapidement tout froissé et piétiné par qui de droit. Pas question de ressentir la cuisante défaite de l’homme viril qui tombait au combat à cause d’un petit coup de froid de rien du tout. Il croit donc bon de se justifier un peu. Mais c’est toujours visage et yeux fermés.

« C’est juste un coup de froid. J’aurais pu partir en mission comme d’habitude, mais il n’y a rien de prévu aujourd’hui alors j’ai décidé de faire plaisir au médecin. Vous allez pouvoir aller lui dire que je vais très bien, justement. »

Bien sûr. Ça tombait très bien, n’est-ce pas ? Comme si Silver était top shape ! Enfin… Greco ferait bien de ne pas trop le chercher. Il avait encore toute sa force et à peine la tête qui tournait. Il aurait tôt fait d’effrayer la jolie petite brebis, comme l’autre soir devant la jungle. Ça n’avait pas été si désagréable que ça de voir ces jolis yeux bleus luire de frayeur un instant, surtout sachant que c’était à cause de lui. Lui qui l’avait impressionné.

« Je suppose que s’il y avait une urgence type goa’uld, vous n’auriez pas hésité à frapper à ma porte, de toute façon… Non ? »

Il espérait bien…

C’est un peu le hasard qui avait fait savoir à Camille que le Colonel Silver était patraque, aujourd’hui. Et s’il ne disait pas « malade » c’est que l’Américain était le genre d’homme à nier en bloque l’existence même de ce mot dans son vocabulaire. C’était le soldat de la dernière fois, celui qui avait faillit l’accompagner en dehors de la base une nuit, qui lui avait glissé cette confidence dans une discussion au détour d’un couloir. D’après ce dernier, l’autre militaire n’avait pas été tendre avec lui et Camille lui avait d’ailleurs renouvelé ses excuses. Il se ferait pardonner lorsque le moment se présenterait.

Pour le moment, ses pas l’avaient donc plutôt conduit jusqu’aux quartiers de Julian. Et puis il avait été pris d’incertitude… Si Julian était malade, peut-être valait-il mieux le laisser prendre du repos, surtout que le soldat d’un peu plus tôt lui avait assuré qu’il avait fallut le lui ordonner pour qu’il en prenne… ! Et d’un autre côté il n’était pas venu les mains vides… Il avait fait un saut par leur « cantine » pour demander un plateau pour le Colonel, demandant une portion un peu plus généreuse à l’officier qui servait parce que bon… Julian ne devait pas manger dans les mêmes proportions que lui et il en avait conscience.

Résultat, tout à son hésitation, Camille ne réalise pas qu’il à fait plusieurs fois quelques pas jusqu’à la porte avant de s’en éloigner, signe extérieur de son hésitation intérieure ! Et il sursaute presque, faisant trembler ce qu’il y a sur son plateau un bref instant, alors que la voix grognonne de l’autre homme lui ordonne soudainement d’entrer ! Bon… Bon… !

Camille entre donc, laisse la porte se refermer derrière lui… Et il a à peine eu le temps de dire « bonjour » que Julian lui sort un truc… Ok en fait, il valait peut-être mieux mettre ça sur la fièvre !

« Ca c’est fait… »

Il a un léger temps de latence en observant l’homme étendu. Quand bien même il serait venu pour une séance de rodéo privilégiée, Julian n’aurait probablement pas pu en tirer grand-chose hein… Camille s’approche, montrant un peu son plateau tout en venant s’assoir sur le rebord de la couchette du militaire.

« Je vous ramène de quoi manger. Le repos ne suffit pas. Il faut manger et s’hydrater. »

Il écoute d’une oreille distraite Julian lui assurer qu’il avait juste pris un petit coup de froid, rien qui n’impactait ses capacités, tout ça… Le cliché de l’homme viril quoi ! Et tout en l’écoutant, Camille vient déposer le plateau sur la table de chevet, récupérant un livre qui s’y trouve, en observant la couverture avec curiosité. Il n’était pas certain que Julian soit un grand bibliophile mais quand bien même, ce livre était tout en français.

« Tu parles français ? »

Ils n’étaient pas dans un cadre très professionnel alors il pouvait sûrement baisser un peu le niveau de langage !

« L’Etranger… »

Il l’avait lu lui aussi ce bouquin, il y avait longtemps maintenant. Pas son préféré du cycle de l’absurde et il y avait une intensité dramatique qui le troublait beaucoup dans ce livre. Des décisions qu’il ne comprenait pas, ne cautionnait pas.

« Aujourd’hui maman est morte… Ou peut-être hier, je ne sais pas. »

Il l’avait récité en français, sans ouvrir le livre. Une mémoire comme la sienne lui aurait permis de réciter tout le livre, à peu de choses près. Camille repose le livre avant de se lever de nouveau pour aller chercher de l’eau fraîche avec laquelle il revient, la déposant sur le plateau aux côtés du reste.

« Si ça avait été une urgence de ce type, ce n’est probablement pas moi qu’on aurait envoyé. »

Camille a un petit sourire avant de venir retirer le linge du visage du bel homme, juste le temps d’y poser le revers de ses doigts un instant.

« Tu es brûlant. Le médecin ne t’a rien donné ? Ni aspirine ni rien de semblable ? »

Ca lui paraissait peu probable. Ca ne faisait pas effet alors ?

« Tu as chaud et froid en alternance ou juste l’un des deux ? »

Et de prévenir :

« Je ne suis pas médecin. Tu ne peux pas me dire que tu n’as pas besoin d’en voir un. Ca ne compte pas… ! »

Puis après un petit clin d’œil :

« Profites-en plutôt ! »

Le regard de Silver se pose un instant sur ce avec quoi jonglait Camille après avoir ouvert la porte. Un plateau repas. Il ne savait guère ce qu’il avait fait pour mériter ça, à part effrayer le jeune homme, mais il ne cracherait pas sur un peu de nourriture. Surtout qu’il n’avait même pas pensé à manger, n’ayant pas terriblement faim… sauf qu’il ne comptait pas laisser son état se dégrader. Alors il devait manger, qu’il en ait envie ou pas. Le jeune homme semble arrêter de fonctionner un instant à son commentaire déplacé… mais se ressaisit rapidement et ça arrache un sourire en coin à Silver. Décidément, Camille Greco retombait plus vite sur ses pattes qu’on l’aurait cru à le voir comme ça.

« Ne me prenez surtout pas pour plus malade que je suis. Je n’ai pas envie d’être en colère en plus d’avoir pris froid. », marmonne quand même le colonel, histoire de replacer quelques petites choses. Il n’avait pas cessé de fonctionner entre hier et aujourd’hui. Et si certes, c’était en partie dû à une fierté masculine mal placée, il y avait malgré tout du vrai dans ce qu’il disait. Il n’était pas sur le point de mourir. Juste un peu de fièvre, ce qui lui donnait l’impression d’être dans le coton. « Et n’en profitez pas que j’aie perdu en réactivité pour essayer de racheter votre soldat bien-aimé. »

Il était sûr qu’ils se voyaient encore. Dieu seul savait de quelle façon exactement, mais il avait ses doutes et ça continuait de l’irriter, bien qu’il n’ait pas l’intention de le dire comme ça. De toute façon, Camille l’arrache à ces pensées énervantes. Le livre. Il n’avait pas pensé le glisser dans le tiroir de la table de chevet. Il l’avait… consulté, disons, une demi-heure plus tôt.

« Non. », répond sobrement le malade. Parce qu’il ne parlait pas français, sauf pour le traditionnel bonjour et encore… Son accent devait être affreux. Silver était le cliché de l’anglophone qui pense que la seule langue à apprendre pour bien fonctionner dans ce monde, c’est la sienne. Il se tait néanmoins à la suite, écoutant attentivement Camille alors qu’il prononce de mémoire la première ligne du roman. Il lui semble que c’est celle-là… Son ex lui avait lu le livre quelques fois. C’était son préféré. Quant à Silver lui-même, il ne savait même pas de quoi il parlait, mais il aimait l’entendre lire en français… Ça lui manquait. « Vous l'aimez ? Vous connaissez cette ligne par cœur. »

Si Camille était curieux, il verrait une dédicace particulière dans le livre. Quelques mots tendres. Un prénom qu’il essayait d’oublier. À ce moment, Silver tend la main, récupérant un peu abruptement le livre.

« Peu importe. »

C’était tout sauf important, vu la situation dans laquelle ils se trouvaient. Le jeune homme réussit à le faire soupirer en jouant les apprenties infirmières, par contre ! Il ne bouge pas quand la main fraîche se pose sur son front, observant néanmoins Camille avec un regard éloquent : il ne se considérait toujours pas malade.

« J’ai chaud. À quel moment avons-nous commencé à nous tutoyer, Dr. Greco ? », demande-t-il, changeant de sujet mais en utilisant une remarque légitime pour ce faire ! Il n’était pas aussi bête qu’on voulait bien le croire. « J’ai eu des cachets. Et tu es docteur. C’est bien assez près pour moi. »

Silver n’était pas très regardant sur ce genre de choses, Américain moyen et homme de base qu’il était ! Il hésite un peu… puis finalement, il rend le livre au jeune homme.

« Avant de partir, tu me lirais quelques pages…? »

C’était probablement mal. Surtout que la fièvre lui donnait de plus en plus l’impression d’être dans la ouate. Mais il cédait à ses envies, là. Les plus intimes et farouchement défendues qu’il ait.

« Pourquoi ? Qu’est-ce que ça changerait à votre humeur habituelle ? »

Camille a un petit sourire espiègle sans en rajouter. Quand bien même il prendrait Julian pour un grand malade, il ne pouvait que lui prodiguer des conseils, pas lui donner des ordres ! Quant à son « soldat bien-aimé », ça fait lever les yeux au ciel de Camille.

« Je vais finir par prendre ça pour de la jalousie ! »

Entre ça et les propositions indécentes hein ! Pour ce qui est du bouquin, la réponse est sans appel et un peu surprenante du coup. Le livre avait été beaucoup lu ou en tout cas beaucoup manipulé, ça se voyait.

« Un objet sentimental ? »

Le colonel Silver ne semblait pas être le genre d’homme à posséder beaucoup d’objets de ce genre… Mais après tout… Il était peut-être seulement extrêmement pudique sur ce genre de sujet. Quant à la ligne qu’il avait citée… Et son goût pour le roman, Camille ne ment pas, hochant négativement la tête. Il admet même :

« Le concept général de ce roman me déplaît un peu. Mais je l’ai lu une fois, il y a longtemps. J’ai une bonne mémoire. »

C’était un euphémisme !

Le livre lui est arraché des mains avant même qu’il eu pu dire autre chose et Camille darde un regard surpris, un peu choqué même, pour le militaire.

« Je n’allais pas y mettre le feu tu sais… ! »

Et parce que Julian ne pouvait pas faire sans lui faire remarquer qu’il s’était mit à le tutoyer, Camille hausse les épaules.

« Quand je suis arrivé, tu m’as quasi suggéré qu’on fasse l’amour. Je me trouve même un peu moins familier que toi à bien y regarder… ! »

Il fallait balayer devant sa porte avant de le faire devant celle des autres, comme on dit ! En tout cas visiblement ce n’était pas un vrai problème puisque Julian le tutoie à son tour. Il avait raison sur la forme… C’était à son tour de jouer un peu sur les mots ! Et comme pour en rajouter une couche, Camille lève deux doigts :

« Et je le suis deux fois. »

Avec un petit clin d’œil complice ! Le livre lui revient entre les mains, avec hésitation, comme à regret avant même de lui avoir été réellement remis entre les mains… Et Camille le prend donc avec soin, comme pour témoigner inconsciemment d’une forme de respect envers ce vieux roman. Il en regarde le dos, un sourire aux lèvres tandis que sous le prix en euros il voit encore la mention du prix en francs. Il devait avoir un certain âge ce bouquin maintenant. Les pages avaient un peu jauni sans trop. Un coin était un peu abîmé d’avoir sûrement pris quelques coups…

Camille l’ouvre et son regard est attiré par une dédicace, en même temps que Silver lui demande de lui faire la lecture. La demande était aussi surprenante que la dédicace. Des mots d’amour, dans un français qui appartenait probablement au propriétaire originel du roman. Le prénom de Julian, preuve que c’était bien à lui que ces mots emprunt de tendresse étaient destinés.

« Je vois. »

Ça lui semblait encore plus important d’en prendre soin.

« Est-ce que « Sacha » t’en faisais la lecture, lui aussi ? »

Il a un sourire pour le Colonel avant de tourner à nouveau les pages. Bien sur il brûlait de demander ce qu’était devenu ce Sacha. Le prénom avait quelques consonnances un peu orientale, signe peut-être d’un métissage sur potentiellement plusieurs générations, comme on en voyait beaucoup en France et plus généralement en Europe. Mais ça aurait été inapproprié. Il n’y avait pas de photo ici. Julian n’avait même jamais prononcé ce prénom pour autant qu’il le sache… Il y avait peut-être du chagrin derrière ce prénom et loin de lui d’assouvir sa curiosité au prix d’une plaie à rouvrir.

« Tu veux que je lise en français ? »

Ce serait sûrement plus naturel évidemment… Et ça semble être le cas alors Camille s’applique, de sa voix la plus claire, sur l’œuvre de Camus. Il en lit tout un chapitre avant de cesser un moment.

« Tu sais, il fait en quelque sorte partit d’une « trilogie » même si c’est un peu grossier de le dire comme ça. Tu souhaiterais que je te fasse découvrir les autres ? »

Et puis… Même si le militaire s’en fichait peut-être :

« Mon livre préféré à moi, ce sont « Les fleurs du mal » du poète Charles Baudelaire. Je pourrais te le réciter entier. Un tout particulièrement. »

Qui l’avait toujours, inexplicablement, pris aux tripes.